Chevrières : chèvreries ou « lieux de plantes des marais » ?
Chevrières est situé sur la rive droite de l’Oise entre Compiègne et Pont-Sainte-Maxence, séparé de l’Oise par une zone de 4 km de marais où sont exploitées des gravières envahies par l’eau. Village à 35 m d’altitude, abords marécageux à 32 m et l’Oise à 31m.
Chevrières est situé sur la rive droite de l’Oise entre Compiègne et Pont-Sainte-Maxence, séparé de l’Oise par une zone de 4 km de marais où sont exploitées des gravières envahies par l’eau. Village à 35 m d’altitude, abords marécageux à 32 m et l’Oise à 31m.[1]
_ Chevrières (DT 927 p. 137). cn. d’Estrées-Saint-Denis
_ Formes anciennes :
Civerarias 937, Cheveria 970, Chivereria 970, Civeraria 1136, terram de Civerariis 1136, in decima de Chivereriis 1156, Chiveveria 1177, locum que Chivererias appellant 1182, Civerias 1182, Civerias 1182, boscum de Civereriis […] Chivrier 1240, Chiverieres 1274, Drieu de Chiverieres 1279.
En 1343 apparaît le premier Chevrieres mais on trouve encore Civrieres 1373, Siverieres 1373, Civerieres 1474, Cyverieres 1504 […] Le dernier Civriere date de 1598, Chevrières s’installe définitivement en 1652. _ Jean-Claude Malsy (2021 NRO n° 63 p.158) relève une forme plus ancienne : 853-854 Cinerarias (lire Civerarias) ce qui nous donne la même matière à discussion.
Notons l’alternance de formes où l’initiale C- ou S- alterne avec des formes en Ch-. Les formes en /S / peuvent être considérées comme françaises et en /Ch-/ comme picardes (« Chuintement picard »).
Homonymes possibles : (avec suffixe -iacum)
_ (DR p. 191) Civray 18 (Civraicum 1163), Civray 85 (sivriaco vers 1010), Civray 35 (Severiacus VIe), Civrieux 01 (Sivriacus 984), Civry 89 (Sivriacum 1170) etc. < NP lat. Severus ou Severius _ (DR p. 189) Chivres 21 (1260) > NP lat. Caprius.
_ (J. chaurand et M. LEBÈGUE 2000 p. 180) Chivres-Val 02 et Chivres-en-Laonnois 02, issus de l’anc. fr. chievre du lat. capra qui peut également expliquer Chevrières (60) dérivé avec -arias. (idem M.-T. Morlet in DR p. 189)
_ (Semblat 2011 p. 39) Chivres-en-Laonnois (Chivres 1171) [en bordure du Marais Saint-Boetien] et Chivres-Val (capra 877) [sur un petit affl. de l’Aisne]. Dans les deux cas l’auteur cite le même « blason » (moquerie identitaire locale) pour les habitants de ces villages « Chives les oignons ! »
Discussion
(LEBÈGUE 1994 p. 69) : dérivé du lat. capra, adj. (terre « chevrière »). Il paraît difficile d’admettre l’explication de M. Roblin (1978 p. 157) qui voit dans Chevrières une « chennevières » ; le chanvre demande une terre riche et relativement humide, mais pas un marécage ; enfin, l’évolution phonétique locale serait trop particulière, pensons-nous. Notons encore que, dans cette zone dialectale, on attendrait plutôt la forme Cabrières (en partant de *capr-arias) ».
Chèvrerie ou plante des marais ?
Au vu des formes anciennes, les toponymes dotés du suffixe -acum : Civray 35, sont rapportés au NP lat. Severus / Severius, tandis que les formes sans suffixe _ Chivres sont rapportées au thème lat. capra « chèvre ». Si l’on reprend que _1) le suffixe -aria peut bien s’appliquer à une espèce végétale ainsi que les objections de M. LEBÈGUE : _ 2) un marécage ne convient pas au chanvre, _ 3) la bizarrerie phonétique (Chevrières au lieu de *Cabrières), ces éléments incitent à rechercher ailleurs, et l’on trouve une hypothèse plus plausible dans le Dictionnaire des noms propres de j. Coste (2006 n° 736 bis p. 125) :
_ cibre (+ chibre, civre) « glaïeul des marais », « roseau » < lat. Cypirus2. Il peut s’agir soit de cultures de souchet rond abandonnées (cyperus rotondus, légume ancien), soit par glissement de sens métonymique, d’une autre plante. La famille des Cypéridés contient les laîches et les carex qui croissent en milieu humide (le papyrus et le souchet en font partie). Le véritable glaïeul des marais est une plante rare qu’on ne rencontre que dans quatre départements des Alpes et du Jura. Il pourrait s’agir de la plante la plus remarquable de nos marais, l’iris jaune. Classé dans les iridacées, il possède un rhizome et non un oignon. Le Souchet rond ou autre plante de marais, civre se reconnaît dans la forme civer-arias de 937 : au singulier civer-aria « l’endroit où croissent les civres ». En latin plusieurs formes au féminin pluriel : Civerarias, (accusatif) Civerariis, (ablatif) Chivereriis, Chivererias (Ch- phonétique picarde). Civray 18, Civray 85, Civrieux 01 et Civry 89 paraissent de possibles *civer-iacum.
Conclusion
Les civerarias peuvent représenter _ ou bien des lieux plantés de végétaux typiques des marais comme les roseaux, lèches, carex ou iris jaune (« glaïeul de marais » iris pseudacorus, iris faux acore, la fleur de glais, chère au jeune Frédéric Mistral) _ ou bien d’anciennes cultures de Souchet, éventuellement remplacées par celles de l’oignon3 dans les deux Chivres du département de l’Aisne. La forme contractée de 970 Cheveria, due au « chuintement picard » et à la perte du sens du mot en ont fait … des Terres à chèvres. 1 En aval de La Croix-Saint-Ouen jusqu’à Brenouille, les rives de l’Oise présentent un profil asymétrique. Tandis que la rive droite, marécageuse, est en pente douce sur une dizaine de km, Verberie, sur la rive gauche s’adosse aux contreforts du Mont Pagnotte (222 m) un des points culminants du département. 2 [Lui-même du grec kupeir-on, ici au neutre mais aussi masc. cyperus rotondus « le souchet rond » plante d’origine indienne, cultivée sur le pourtour méditerranéen, produisant des petits tubercules comestibles ressemblant à des graines de capucine. Dict. grec Bailly et Wikipédia 8 O3 2022] 3 (Site Internet de la Mairie de Jaux 9 03 2022) La commune de Jaux, en amont de Chevrières, r. d. de l’Oise, près de Compiègne a été célèbre pour sa culture d’oignons de 1900 à 1958.
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En aval de La Croix-Saint-Ouen jusqu’à Brenouille, les rives de l’Oise présentent un profil asymétrique. Tandis que la rive droite, marécageuse, est en pente douce sur une dizaine de km, Verberie, sur la rive gauche s’adosse aux contreforts du Mont Pagnotte (222 m) un des points culminants du département.